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Les oreilles :
Françoise Rivalland, percussionniste.
Françoise Rivalland est une percussionniste aux multiples talents, pleine de curiosité et ouverte à divers recherches musicales. Nous nous connaissons depuis longtemps dans nos parcours respectifs, et il m’a semblé que ce projet pouvait être un espace d’invention pour nous deux.
Elle a répondu à ma demande avec deux instruments dont les origines remontent à la Perse : le santour et le zarb.
Ces instruments furent adoptés par les musiciens itinérants, invités dans les plus grandes cours d’orient puis d’occident. C’est une migration de plusieurs siècles qui les emportent vers l’est et vers l’ouest. En Europe, les tziganes, roms, et gitans les transportent, chargés des cultures de tous les pays traversés, jusqu’à l’Espagne en passant par la Turquie.
Le santour, instrument à cordes frappées, est de tout petit format par rapport à son ancêtre, le cimbalom. Grâce à sa légèreté et à sa petite taille, il voyage facilement sous des noms et des formes variés. Tziganes et juifs d’Europe de l’Est colorent leurs musiques de ses sonorités particulières.
Il apporte ici, en perspective, comme une mémoire de tous ces voyages.
Le zarb est une présence rythmique indispensable. Il participe également à la narration grâce à une grande variété de frappes et de timbres amenant un réel soutient à la voix parlée et chantée.
Sous doigts et baguettes, ils deviennent des compagnons parfaits pour embarquer avec moi et permettre cette traversée avec Ingeborg Bachmann.
Ainsi la poésie de Ingeborg Bachmann, et toute son œuvre en général, est une pensée, une réflexion sur la liberté et sur les limites.
Elle m’est toujours apparue comme la parole prophétique et imprécatoire de « celle qui voit ».
Dans cette recherche m’est revenue de façon récurrente la figure de Cassandre, la prophétesse, elle aussi en quête de liberté, et qui s’étant refusée à Apollon a été punie par celui-ci, et condamnée à voir dans le futur sans être crue.
Je pourrais dire, à la lecture de ses écrits, comme elle le dit elle-même : « mes yeux se sont ouverts ». Une autre invitation.
Les yeux
Arièle Bonzon, photographe.
L’univers poètique de Bachmann est extraordinairement visuel.
Il est donc question dans ma proposition d’espaces où faire résonner ses mots, d’échos de réel, d’images ouvertes sur le monde.
Voir pourrait alors être un contrepoint à l’imaginaire poétique et musical du spectacle, comme un motif qui se superpose au texte, tout en gardant sa réalité propre.
Le défilement des images photographiques scande le voyage. Images de paysages, étranges et familiers, qui passent. Elles offrent des plages de temps où vagabonder, des lointains où se perdre.
Les intervals sont dédiés au retour périodique d’un repère, dont la fonction et le caractère esthétique se recouvrent. Un mur, des signes y sont inscrits. Des mots, une silhouette : Nous voyageons avec eux, de simples signes.
Les accents, temps forts, et césures répondent à la musique et à la voix qui porte les textes.
Bachmann nous convie à connecter nos sens à notre imaginaire.
Des oreilles et des yeux, pour une "grande cargaison".
AB.
ingeborg bachmann
simplement poète
Les mots depuis longtemps ne cherchent plus l’accompagnement que la musique ne peut leur donner. Pas d’environnement décoratif de son. Mais l’union.
État dans lequel ils sacrifient leur indépendance et acquièrent, grâce à la musique, une nouvelle force de persuasion.
Et la musique ne cherche plus le texte insignifiant, comme prétexte, mais un langage de monnaie forte, une valeur à laquelle elle peut mesurer la sienne.
C’est pour cela que la musique adhère comme un stigmate aux poèmes, pour lesquels elle a de l’amour, ceux de Brecht, Garcia Lorca et Mallarmé, Trakl et Pavese et ceux des plus anciens qui, toujours, sont portés dans le courant du présent,
ceux de Baudelaire, Whitman et Hölderlin.
(oh combien faudrait-il en citer ! )
Les mots continuent à exister, mais ils ont une seconde vie précieuse dans cette union.
Car, comme les nouvelles vérités, les anciennes peuvent être réveillées par chaque langue, la langue allemande, italienne ou française...
Chaque langue peut, à travers la musique, assurer sa participation à une langue universelle.
Ingeborg Bachmann,
extrait de Musique et poésie.
Ce qu’il y a de plus étonnant chez Ingeborg Bachmann, c’est que dans sa poésie, cette brillante intellectuelle n’a jamais perdu en sensualité, ni négligé l’abstraction.
(...) Dans maints de ses poèmes se cache un élément qui aurait pu évoluer vers une forme de chanson populaire, si seulement le peuple des deux Allemagnes et d’Autriche avait été prêt à accepter l’amertume sous forme de chanson.
Heinrich Böll,
extrait de Je pense à elle comme à une jeune fille.